Skip main navigation

Le contrat social et le pacte politique

Comment les sociétés doivent être organisées pour répondre aux besoins de tous et pourquoi cet équilibre doit être garanti par un "contrat social".
Portraits : Les Philosophes Francis Bacon, René Descartes, et Jean-Jacques Rousseau.
© Public domain

Si l’ordre social découle d’un décret divin ou d’une évidence naturelle, alors les êtres humains ne peuvent pas être placés en son centre, et le changement n’a pas de sens : comment les humains iraient-ils à l’encontre de pareilles forces ?

Dans cette hypothèse, les sociétés sont tenues pour fondamentalement injustes. Pourtant, cette injustice est parfois acceptée : soit elle est voulue par Dieu, elle est alors transitoire puisque l’on espère revivre dans une position meilleure que sur cette terre ; soit elle est présente partout et toujours dans des proportions variables, et elle paraît alors difficilement évitable là où l’on se trouve.

Si au contraire l’idée de justice sociale sur cette terre triomphe, alors la société doit être organisée selon des principes qui profitent à tous, et cet équilibre-là doit être garanti par un « contrat social ».

De même, l’opposition doit être respectée et traitée équitablement, car elle sera la majorité demain : il faut donc passer avec elle un « pacte politique » en vertu duquel on ne lui infligera pas ce que l’on ne voudrait pas subir soi-même un jour.

Ces deux modèles (celui de l’ordre naturel et celui de l’ordre voulu) s’affrontent dans le monde. Il n’est pas certain que le premier l’emporte, bien que ceux qui le soutiennent soient souvent portés au prosélytisme, ce qui ne manque pas de chagriner les autres.

Contrat social ou lois naturelles

Le contrat social, pour commencer, est passé entre gouvernants et gouvernés afin de ne pas subir les lois naturelles. Avec le loup et l’agneau de La Fontaine, ou bien le lion et le renard de Kalila wa Dimna, le comte arabo-perse qui lui servit de modèle, le message est clair : l’injustice est un fait naturel, les faibles doivent donc ruser avec les puissants.

Tableaux : le loup et l'agneau ; et le lion et le chacal
Gauche : Le loup et l’agneau, par Jean-Baptiste Oudry, domaine public. À droite : Une page de Kelileh o Demneh, qui représente le chacal essayant de persuader son roi-lion que l’honnête courtier en taureaux est un traître, domaine public.

Contre le message véhiculé par ces récits, la pensée du contrat social repose sur une rupture nette entre ordre naturel et ordre politique.

L’anglais Francis Bacon distingue ainsi les lois sociales des lois de la nature, sa devise est : « nam et ipsa scientia potestas est » : la science c’est le pouvoir. Il est ainsi à l’origine de l’idée de progrès voulu par l’homme.

Le Français René Descartes oppose quant à lui la raison à l’ordre providentiel (1596-1650) ; « cogito ergo sum » : je pense donc j’existe. Cette devise est à la racine de l’individualisme rationaliste.

Rousseau, pour sa part, est l’un des inventeurs du contrat social, titre de son livre de 1762. Il n’est certainement pas le premier à l’avoir conçu, même s’il est celui qui l’a le plus clairement exprimé. D’ailleurs, ce contrat n’est pas une invention européenne comme on le croit parfois.

La quête d’un ordre juste est en effet ancienne et universelle. Que ce soit chez les pharaons ou les souverains Mésopotamiens, en Chine ancienne ou au Japon, cette préoccupation a dominé la pensée politique pendant des siècles. Nous en connaissons un témoignage fameux : le code d’Hammourabi. Ce roi qui a régné il y 38 siècles sur Babylone a consigné ses actes sur un cône en basalte célèbre, dont on voit une réplique dans beaucoup de Musées et de Facultés de Droit dans le monde.

Photo : Le Code d'Hammurabi
Le Code d’Hammourabi, un code de loi babylonien de l’ancienne Mésopotamie, datant d’environ 1754 avant J.-C.. Il s’agit de l’un des plus anciens écrits déchiffrés de longueur significative au monde. Domaine public.

Que nous dit ce précurseur ? Qu’il rend public ce texte pour les générations actuelles et pour les générations futures :

« afin que le fort n’opprime pas le faible, pour faire justice à l’orphelin et à la veuve… pour prendre les décisions concernant le pays, pour faire justice à l’opprimé, j’ai écrit mes paroles précieuses sur ma stèle et je l’ai dressée devant ma statue de “Roi de justice” ».

En quoi ces philosophies anciennes sont-elles différentes des nôtres aujourd’hui ? Elles ne répondent pas de la même manière à la question suivante : faut-il chercher à atteindre l’idéal d’un ordre plus juste, ou suffit-il de se contenter de vivre dans une société moins injuste ?

C’est l’objet de la controverse entre l’Américain John Rawls et l’Indien Amartya Sen.

Le premier recherche des principes de justice sur lesquels chacun pourrait s’accorder. Il est en quête d’un ordre social a priori, décidé dans l’abstrait par

ceux qui n’auraient aucune expérience de la vie en société et ignorerait leur position dans le monde social une fois celui-ci constitué.

Rawls pense que ces « constituants » construiraient une société vivable même si d’aventure ils se retrouvaient dans une position défavorisée une fois cette société imaginaire devenue réalité.

Sen, en revanche, affirme que nous ne sommes pas capables de dire ce qui est juste en soi, dans l’absolu, alors que nous sommes parfaitement capables de reconnaître des injustices quand nous en voyons (des enfants exploités, par exemple).

L’opposition de ces deux penseurs est aussi la confrontation de deux philosophies : l’une, procédurale, l’autre, substantielle.

Aujourd’hui, c’est la conception procédurale qui triomphe (celle des garanties formelles qui protègent les individus). Pourtant, l’humanité est en majorité marquée par la conception substantielle (celle des avantages tangibles qui sont répartis en fonction des besoins de chacun).

D’autres différences importent aussi, comme celle qui sépare l’égalité et l’équité.

Egalité et équité

Tandis que la justice égalitaire gomme toutes les hiérarchies (elle redistribue les revenus en recourant à des impôts progressifs), la justice comme équité garantit à chacun sa juste place dans un ordre social où les mérites sont rétribués (on obtient sa juste part en fonction de ses efforts et de ses capacités).

Cette conception-là admet donc les différences de revenus et de gratifications, car elles sont justifiées par des différences de talents. Toutefois, il faut bien que quelqu’un dise ce qui est équitable et ce qui ne l’est pas, et ce ne peut évidemment pas être celui ou celle qui bénéficie de cette décision, comme on le voit sur ce dessin humoristique.

Bande dessinée : Liberté ou équité ?
Par Nina Paley, utilisé sous licence CC.

Or, une grande partie du monde vit sous le régime de l’équité (par exemple, le monde indien). Une autre partie est restée, elle, strictement hiérarchique (par exemple, les mondes chinois, musulmans – en dépit d’un véritable idéal d’égalité –, et russes).

Quant à l’égalité, c’est surtout un concept européen : l’idée d’un contrat social garantissant la justice à chacun ne va pas de soi partout.

Pacte politique

En est-il de même pour une autre forme de contrat social non plus entre élites et masses, mais au sein même des élites, cette fois, ce que l’on appelle le “pacte politique” ?

La formule désigne une conduite : la réserve qu’adoptent les élites au pouvoir et dans l’opposition en évitant d’infliger aux autres la prison, l’exil, la torture, l’assignation à résidence, afin de ne pas en être victimes une fois le pouvoir perdu.

Dans une variante plus exigeante, le pacte permet aux majorités gouvernementales de jouir de l’immunité pour leurs actes, même illégaux voir inhumains une fois qu’elles ne sont plus au pouvoir (c’est le cas d’un gouvernement sortant) ou quand elles y accèdent (les dirigeants légitimes sont les opposants illégaux d’hier). En voici quatre exemples.

Premier exemple de pacte politique, celui de l’Argentine en 1986 : le nouveau président radical élu au suffrage universel, Raul Alfonsin, promulgue alors contre le souhait de ses partisans une loi qui interdit les poursuites pénales pour des crimes commis du temps de la dictature. C’est pourquoi la loi porte le nom de « loi du point final » (Punto final), on légifère une fois pour toutes.

Deuxième exemple, le pacte politique au Chili (on voit ici les bulletins utilisés pour le référendum constitutionnel à l’issue duquel Pinochet est parti de son plein gré, mais librement).

Troisième exemple, moins réussi, le pacte politique en URSS : la perestroïka a déclenché la fin de l’Union soviétique, mais elle n’a pas chassé du pouvoir les services de sécurité, toujours puissants.

Quatrième exemple, celui d’un pacte couronné de succès, lui : en Afrique du Sud, quand la nouvelle constitution mit massivement fin à l’apartheid, le pacte ne conduisit pas seulement à un changement de gouvernants, il amena à une vraie réconciliation.

On voit sur cette photo l’ex-président De Klerk et l’ex-prisonnier Mandela sceller leur accord pour repartir sur de nouvelles bases ; et sur cette autre, l’évêque sud-africain Desmond Toutou, celui auquel le pays doit le concept de la réconciliation entre victimes et bourreaux.

Réparer le tissu social est en effet une affaire de volonté partagée. Le principe en est simple : « faute avouée, faute à demi pardonnée », comme le dit un dicton : les bourreaux confessent leurs crimes, les victimes leur pardonnent.

Conclusion

Deux grandes conceptions du monde s’affrontent depuis les débuts de l’histoire ; chacune est porteuse d’une conception de la justice.

Soit les gouvernants souscrivent avant toute action un contrat social avec les gouvernés, et un pacte politique avec les opposants ; soit la notion de justice est considérée comme inscrite dans la nature, dans ce cas on ne peut pas porter atteinte à l’ordre naturel ou providentiel.

Toutefois, même la justice céleste ou naturelle peut être modifiée à la marge : par exemple, on peut éviter les injustices dont sont victimes les autres chaque fois qu’on en voit ; ou alors, on peut garantir aux opposants l’immunité politique pour leurs actes et leurs propos, avant même qu’ils n’en aient besoin.

Des sociétés fondées sur des principes d’organisation opposés peuvent donc se rapprocher, et l’on peut imaginer qu’il y aura une synthèse opportune entre points de vue contradictoires, au lieu de les voir s’affronter dans un douteux « choc de civilisations ».

This article is from the free online

Études Globales : Cultures et organisations dans les relations internationales

Created by
FutureLearn - Learning For Life

Reach your personal and professional goals

Unlock access to hundreds of expert online courses and degrees from top universities and educators to gain accredited qualifications and professional CV-building certificates.

Join over 18 million learners to launch, switch or build upon your career, all at your own pace, across a wide range of topic areas.

Start Learning now