Des données probantes pour une action mondiale
Nous avons vu dans la séquence 1.16 comment l’Organisation mondiale de la santé et d’autres agences internationales recommandent une approche globale et fondée sur des résultats pour lutter contre les effets néfastes de l’usage de drogues en termes de santé publique. Nous avons également vu dans les séquences 1.14 et 1.15 de quelles façons les contextes sociaux et les environnements politiques peuvent affecter la capacité des individus et des communautés à réduire les risques. Lors de cette étape, nous présentons de nouveaux documents démontrant l’efficacité de la réduction des risques à l’échelle mondiale.
Ne pas nuire
En 2016, le programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (Onusida) a publié le rapport « Do No Harm » (« Ne pas nuire »). Le principe « ne pas nuire » est, naturellement, compris dans le serment d’Hippocrate sous-tendant l’éthique médicale. Le rapport de l’Onusida traite spécifiquement de « la santé, des droits humains et des personnes usagères de drogues ». Il s’agit d’un rapport qu’il peut être extrêmement utile de lire en complément de ce cours. Nous reviendrons sur d’autres éléments de ce rapport dans la séquence 2.8, mais nous vous suggérons pour le moment d’en lire les pages 2-6 (en anglais).
Selon vous, quels sont les points importants de cette introduction ? En vous appuyant sur cette introduction ainsi que sur les enseignements d’Annette Verster, de l’OMS (étape 1.16), quelles leçons considérez-vous comme essentielles pour élaborer un ensemble d’interventions de réduction des risques ?
Tout d’abord, le rapport attire l’attention sur la « grande majorité des 246 millions de personnes usagères de drogues » ayant été « criminalisées par une législation nationale et marginalisées par la société ». Il fait le lien entre les pratiques de criminalisation et l’augmentation des risques, en indiquant que les personnes usagères de drogues se sont souvent vu dénier « les moyens de se protéger contre le VIH, l’hépatite C, la tuberculose et d’autres maladies infectieuses ».
Ensuite, il souligne le fait que les stratégies et outils exigés pour améliorer la santé et la vie des personnes usagères de drogues « sont » bien connus et facilement disponibles.
Voici ce que le rapport dit :
Les programmes d’échange de seringues réduisent la propagation du VIH et d’autres virus transmissibles par le sang. Le traitement de substitution aux opiacés et d’autres types de traitements de la dépendance ayant démontré leur efficacité réduisent la vulnérabilité aux maladies infectieuses et améliorent le recours aux services médico- sociaux.
La naloxone est un traitement efficace dans le cas d’overdoses aux opiacés et qui sauve les vies. Les traitements du VIH, de l’hépatite C et de la tuberculose réduisent considérablement la morbidité et la mortalité. L’Office des Nations unies contre les drogues et le crime, l’Organisation mondiale de la santé et l’Onusida recommandent d’employer ces services au sein d’un ensemble complet d’interventions de santé.
Le rapport conduit à cinq recommandations en matière de politique et à dix recommandations opérationnelles. Elles sont disponibles, en anglais, ici. Au fur et à mesure que vous avancerez dans le cours, vous noterez la pertinence de ces recommandations politiques et opérationnelles au regard des différents aspects de la réduction des risques. Le rapport de l’Onusida résume les innombrables résultats à l’origine de ces recommandations.
Démontrer l’impact
Les programmes d’échange de seringues (PES) et le traitement de substitution aux opiacés (TSO) sont deux pierres angulaires de l’ensemble d’interventions de réduction des risques. Considérons de plus près ces deux interventions. Nous aimerions attirer votre attention sur quelques articles majeurs ayant présenté des résultats à ce jour. Ne vous inquiétez pas si la partie suivante est un peu trop universitaire ou si une partie du langage technique ne vous est pas familière. Les articles que nous vous recommandons ne constituent pas une partie essentielle du cours, mais ils sont mis à disposition de ceux qui seraient particulièrement intéressés par le corpus de recherche concernant la réduction des risques.
Pour les étudiants qui voudraient lire un article de référence concernant les résultats du traitement de substitution aux opiacés (TSO), nous suggérons celui-ci (disponible seulement en anglais et également téléchargeable en bas de page).
Cet article propose une « revue systématique » et une « méta-analyse » d’études observationnelles « prospectives » visant à évaluer l’impact des TSO sur l’incidence du VIH chez les personnes usagères de drogues. Une méta-analyse consiste à combiner les résultats de différentes études comparables. Le choix des études prospectives indique que la revue se concentre sur les résultats d’impact de très haute qualité disponibles, à savoir les essais randomisés contrôlés, les études de cohortes prospectives et les études cas-témoins.
Quel serait le message à retenir de cet article ? Pour nous, c’est : « Le traitement de substitution aux opiacés est associé à une réduction de 54 % du risque d’infection par le VIH des personnes qui s’injectent des drogues ».
Les formes de TSO les plus couramment prescrites sont les traitements par agonistes opioïdes, le traitement de substitution à la méthadone et celui à la buprénorphine, un agoniste partiel, et de plus en plus souvent le Suboxone (buprénorphine plus naloxone, un antagoniste). Le TSO est généralement pris par voie orale et réduit donc la fréquence des injections et les pratiques d’injection à risques. En plus de réduire le risque d’infection par le VIH, il a également été démontré que le TSO améliorait la santé et l’intégration sociale, diminuait la criminalité et réduisait la fréquence des injections et les pratiques d’injection à risques. Les résultats semblent indiquer que le TSO serait plus efficace lorsqu’il est pris de façon continue et que le dosage prescrit est adapté.
Pour les étudiants qui aimeraient lire des articles de référence concernant les résultats des programmes d’échange de seringues (PES), nous suggérons les articles d’Aspinall et al. (2014), disponible en anglais ici, et de Platt et al. (2016), disponible en anglais ici (également téléchargeables en bas de page).
Il existe un grand nombre de données démontrant l’efficacité des PES. Mais il est intéressant de noter que, contrairement à ce qui ressort de la revue systématique des résultats en faveur des TSO, il n’existe pas d’essais randomisés contrôlés des PES. La raison en est qu’ils seraient compliqués à mettre en œuvre (par exemple, il est quasi-impossible d’empêcher les gens d’utiliser le matériel d’un PES) ainsi que contraires à l’éthique (l’intervention ne peut être refusée aux personnes dont la santé en dépend).
Ces deux études ont pour objet de recherche la réduction des risques de transmission par le sang du VIH et de l’hépatite C. Que nous révèlent-elles ?
Selon Aspinall et al. (2014), qui ont entrepris une méta-analyse des données des études examinées, les PES entraînent une réduction de 48 % de la transmission du VIH. Les résultats des études les plus solides de cette revue montrent une réduction de la transmission encore plus importante lorsque la fréquentation des PES est régulière.
La revue de Platt et al. (2016), qui concerne la réduction de l’hépatite C plutôt que du VIH, montre qu’une couverture élevée des PES entraîne une réduction de 23 % de la transmission de l’hépatite C. Cet examen révèle une grande hétérogénéité des études passées en revue. En Europe, où la couverture des PES est plus importante, les PES entraînent une réduction de la transmission du VHC de 50 % ou plus.
La revue de Platt et al. (2016) fournit également des données sur les TSO, qui indiquent les TSO entraînent une réduction de 50 % de la transmission du VHC.. Ce travail montre que l’impact des TSO pourrait différer selon le sexe, ce qui corrobore d’autres résultats indiquant que les femmes ont plus de risques de contracter l’hépatite C que les hommes et qu’elles auraient un accès plus faible au TSO.
Après une lecture attentive de ces études, quelles pourraient être vos préoccupations à l’égard de leurs résultats ? Elles pourraient être, entre autres, que :
- il existe peu d’études réalisées dans des milieux à faible revenu et non occidentaux ;
- les études ont tendance à se concentrer sur la réduction des risques de transmission par le sang alors qu’il existe d’autres bénéfices pour la santé des TSO et des PES ;
- les revues systématiques ont tendance à considérer comme « bas » ou « faibles » les résultats lorsqu’il n’existe pas de données d’essais randomisés contrôlés. Pourtant, dans le cas de nombreuses interventions telles que les PES, cela n’est ni faisable ni éthique, pas plus qu’une condition préalable à la mise en place des interventions ;
- les études utilisent différentes mesures de la fréquence, de la densité et de l’étendue des interventions, et ne peuvent donc pas toujours être comparables ;
- il est difficile de distinguer les effets d’une intervention unique, comme d’un PES ou d’un TSO, parmi ceux d’autres interventions et changements contextuels dans un contexte donné ;
- l’impact de la réduction des risques est renforcé lorsque les interventions sont « combinées » plutôt qu’isolées ;
- des études qualitatives pourraient nous en dire plus sur la façon dont les interventions de réduction des risques sont concrètement mises en œuvre et sur la façon dont elles sont accueillies par les personnes usagères de drogues.
Lecture supplémentaire
Pour accéder à une évaluation approfondie des résultats des approches de santé publique dans la politique internationale sur les drogues, nous vous indiquons également une commission Lancet sur ce sujet, publiée dans The Lancet en 2016 (Csete et al., 2016: 1427-1480), disponible ici (en anglais).
La réduction des risques est efficace !
Nous espérons que ce bref aperçu des recherches et des résultats vous aura aidé à mieux comprendre ce à quoi fait référence la présentation de la réduction des risques comme une intervention « fondée sur des résultats ».
Il y a bien sûr beaucoup d’autres recherches disponibles. N’hésitez pas à explorer vous-même le vaste corpus de données. Mais, encore une fois, ne vous inquiétez pas si certaines vous semblent trop techniques. L’essentiel étant qu’il a été prouvé à maintes reprises que la réduction des risques réduisait la transmission des maladies infectieuses, les overdoses mortelles et tout un éventail de risques médicaux et sociaux.
Usage de drogues et réduction des risques
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